Sarah Abitbol, l’ancienne championne de
patinage, raconte dans un livre-témoignage sa carrière et sa vie brisée après les viols de son entraîneur. Glaçant. Ses mots sont terribles. Dans un livre qui sort ce jeudi, « Un si long silence », et dont l’Obs a publié les meilleures feuilles, l’ancienne patineuse Sarah Abitbol, aujourd’hui âgée de 44 ans, raconte le calvaire qu’elle a vécu à l’adolescence.
Violée dès l’âge de 15 ans
La vice-championne d’Europe en couple en 2002 et 2003 accuse son ancien entraîneur, Gilles Beyer, qu’elle appelle « Monsieur O.
», d’agressions sexuelles et de viols entre 1990 et 1992.violée à 15 ans.
« Il a commencé à faire des choses horribles, jusqu’aux abus sexuels. J’ai étéC’était la première fois qu’un homme me touchait », confie-t-elle.
Dans son témoignage, récit de 30 ans de peur, de silence et d’omerta, Sarah Abitbol écrit qu’avant même qu’il passe à l’acte, elle déteste ce personnage jugé trop violent sur la glace.Le bonhomme est entraîneur dans le club parisien des « Français volants ».
Il est influent au sein de sa fédération, celle des sports de glace. Important, respectable donc puissant. « Ma mère disait toujours qu’il était brillant », relate la championne.« Ce n’est pas facile de dire à 44 ans qu’on a été violée à 15 ans.
Je n’ai d’ailleurs jamais prononcé ce mot, sauf une fois devant ma psy, quatorze ans après. Aujourd’hui encore, j’ai beaucoup de mal.Je l’écris pour la première fois, confie-t-elle.
Il va éclabousser mon image, bouleverser mon entourage, faire exploser l’omerta. Il me terrifie (…). Et pourtant, c’est le mot juste. Vous m’avez violée (…).J’ai gardé le secret, monsieur O.
» L’ancienne partenaire de Stéphane Bernadis raconte alors comment son entraîneur, en qui ses parents avaient toute confiance, abusait régulièrement d’elle : « Pendant deux ans, vous dites régulièrement à ma mère : ‘Ce soir, je garde Sarah pour l’en‑ traîner.’ Et vous me violez dans le parking, les vestiaires et dans des recoins de la patinoire dont je ne soupçonnais même pas l’existence.
»Ensemble, ils ont une fille prénommée Stella, née en 2011.
Mais l’ex-athlète reste profondément marquée par l’emprise de son entraîneur : « Je suis une handicapée de la vie, murée dans l’angoisse. Dans ma tête, je suis une proie.(…) Aujourd’hui encore, dès que je sors de la maison, j’ai peur.
J’ai horreur d’aller dans les lieux que je ne connais pas. L’inconnu est forcément synonyme de danger, raconte-t-elle. Vous m’avez piégée dans des lieux clos.J’en ai développé une phobie.
Dans une voiture, dans un appartement, j’ai besoin qu’on ouvre les fenêtres. L’idée même de mettre un pied dans un parking, où vous m’avez tant de fois agressée, génère une crise d’angoisse (…).J’ai peur de la nuit aussi.
C’est la nuit, quand j’étais en stage à La Roche-sur-Yon, que vous êtes venu la première fois me réveiller. C’est la nuit bien souvent que vous avez continué à abuser de moi, quand nous étions en déplacement.»
Une volonté de briser le silence autour du viol
Un soir du début des années 1990, pendant un stage épuisant à La Roche-sur-Yon, le prédateur âgé d’une trentaine d’années passe à l’acte.
Sarah est couchée sur son lit, il se penche vers elle : « Il sent l’alcool, il fourre sa langue dans ma bouche et sa main sous les draps ».
L’acte n’est pas isolé. Il recommence à plusieurs reprises, dans des endroits parfois sordides, en détruisant à jamais l’enfant qu’elle est encore.Sarah Abitbol n’accomplira jamais ses rêves de championne, ne s’accomplira jamais tout à fait.
Trente après les faits, qui sont prescrits, mariée et maman d’une petite fille, l’ex-patineuse reste traumatisée : « Je devrais être heureuse mais je n’y arrive pas.Je suis une handicapée de la vie, murée dans l’angoisse.
»Sarah Abitbol n’est pas la seule victime du monstre.
Elle apprend ainsi que Laëtitia Hubert doit aussi repousser ses avances sordides. « C’est un prédateur de la pire espèce.Tout le monde savait mais le problème est que dans cette fédération tout le monde se tient par les c…, confie un ancien proche du milieu.
Quand on y pense, il y a, dans ce milieu, un truc hyper malsain : la règle qui régit tous les rapports, c’est la séduction.C’est une des premières choses qu’on apprend aux jeunes athlètes.
» Un autre ajoute : « Plus encore que dans d’autres sports, il y a une fascination pour les entraîneurs ».Aussi effrayant soit-il, le silence qui a accompagné le calvaire de Sarah Abitbol n’est pas étonnant.
Rongée par la culpabilité, elle rencontre le président de son club qui rétorque à ses proches : « Le mieux serait qu’elle arrête tout et passe à autre chose.
Elle se sentirait mieux. » « Tout le monde me disait « Prends tes médocs et tais-toi ! », regrette-t-elle.Tous, pourtant, connaissent les agissements de l’entraîneur, qui a longtemps sévi ouvertement au bord des patinoires.
« On entendait des bruits le concernant, nous confie un entraîneur. Il a d’ailleurs été écarté un temps des patinoires à cause de ses actes.»
De son côté Gilles Beyer a fait une belle carrière fédérale.
Entraîneur national, directeur des équipes de France… Et quand, après une enquête du parquet de Créteil qui n’aboutit pas en 2000, celle de l’Inspection générale du ministère des Sports l’accable, il est bien démis de ses fonctions de conseiller technique sportif en mars 2001.Mais il reste responsable des tournées de gala de l’équipe de France.
Et retrouve un job de coach aux Français Volants. En toute impunité, « Monsieur O » est même membre du bureau exécutif de la FFSG de 2014 à 2018, sous la présidence de Didier Gailhaguet, cet ami qu’il connaît depuis les années 70.« Gailhaguet savait tout, il l’a couvert », souligne un proche.
« J’attends qu’il (Didier Gailhaguet) m’explique les mesures qu’il a prises (à l’encontre de Beyer), prévient Roxana Maracineanu, la ministre des Sports, qui va convoquer le président.Et s’il n’a rien fait, qu’il se justifie et en tire les conséquences ».